• Le départ des colons à Paris


    PARIS - Quai de Bercy - 16 novembre 1848

     

    Amarrées aux quais cinq péniches attendent l’ordre du départ. Aux lucarnes se pressent des colons qui assistent à la cérémonie organisée en leur honneur. D’autres sont montés sur les cabanes des chalands. Dans deux autres bateaux on a chargé les bagages. Chaque voyageur a droit à un poids et à un volume de bagage limité (50 kilogrammes). Une tolérance est admise concernant le moyen de couchage : un matelas pour deux personnes est autorisé. 

    Tous les départs de convois se font le dimanche ou le jeudi. Nous sommes le 16 novembre, un jeudi. Il fait un temps magnifique Comme pour les autres convois un monde fou est venu assister à la cérémonie du 11ème qui part pour Mondovi.. Il y a là les amis, la famille mais aussi les badauds et les curieux. En tout, peut-être 40 à 50.000 personnes. Parmi eux, les personnalités politiques : ministres, députés, maires…Chaque colon, chef de famille est muni d’un billet d’embarquement qui précise le nombre de personnes faisant partie de la famille et la destination. On lui a remis le règlement à respecter durant le voyage qu’il s’apprête à effectuer. La cérémonie est longue et grandiloquente. La fanfare est là qui donne un air de fête aux préparatifs pour compenser la tristesse ressentie par les partants. A la musique succèdent des chants patriotiques des colons ou des chants religieux de congrégations venues assister au départ et encourager les aventuriers.

    Puis le moment des discours arrive.

     

    Le « Moniteur Universel »  du lundi 17/11/1848
    Le départ du onzième convoi des colons de l’Algérie a eu lieu ce matin avec la solennité accoutumée: le temps était magnifique et le soleil brillait comme aux plus belles journées d'automne. Une affluence de spectateurs, plus considérable encore qu'aux précédents convois, couvrait les deux rives de la Seine et la rivière était sillonnée comme toujours de nombreuses embarcations pavoisées.
    Monsieur Dufaure, Ministre de l'Intérieur, qui, en qualité de président du Comité de l'Algérie à l’Assemblée Nationale, avait assisté le 8 Octobre dernier au départ du ler convoi, est venu de nouveau assister à celui de ce matin. Accompagné des membres de la Commission, il a visité en détail, avec un certain nombre de représentants, les bateaux affectés au transport des colons.
    A dix heures un quart, M. le Général CAVAIGNAC, chef du pouvoir exécutif, et
    M. le général de LAMORICIERE, ministre de la guerre sont arrivés avec un nombreux état-major.




    Le Général de Lamoricière, ministre de la guerre en 1848. 

    Après avoir visité également un des bateaux dans toutes ses parties, ils se sont placés sur le bord du quai en face de la flottille, auprès du drapeau et du clergé. Un des membres de la commission, M. de Montreuil, représentant du peuple, a pris alors la parole en ces termes



     


    "Colons de l’Algérie, chers concitoyens !

    C'est un moment solennel que celui où vos derniers regards saluent la France. Vos coeurs sont serrés d'angoisse, car vos familles, vos amis vous entourent, ils vous pressent dans leurs bras, ils vous couvrent de leurs adieux fraternels. Mais vos coeurs s'ouvrent aussi à l'espérance, vous savez que la France africaine est devant vous, et que là vous allez fonder un peuple, une civilisation ; vous savez que de hautes destinées vous attendent".

    M. Peupin, membre de l’Assemblée Nationale prononce un discours :


    "Citoyens,
    Membre de l’Assemblée nationale, c'est en son nom que nous venons assister à votre départ.
    Notre présence témoigne hautement de l'intérêt qu'elle vous porte. Cet intérêt vous est dû, car vous n'êtes pas des exilés, vous n'êtes pas de ceux que la France repousse et rejette hors de son sein, vous êtes, au contraire, ceux de ses enfants à qui elle doit une assistance, une protection toute spéciale, méritée surtout par la grandeur de l’œuvre que vous aller fonder ! En effet, cette œuvre est immense, elle est magnifique, elle est éminemment patriotique et chrétienne.
    Elle est immense, car il s'agit de reporter sur cette terre d’Afrique, autrefois si riche, si puissante, si peuplée, maintenant misérable et déserte, une partie des forces vives de la nation;
    Il s'agit de fonder, de l'autre côté de la mer, une autre République française, et c'est à vous qu'il est donné de réaliser cette pensée qui, pendant si longtemps, fit trembler nos ennemis. C'est à vous qu'il appartient de faire que la Méditerranée ne soit plus autre chose qu'un lac français. "
    …..   ……
    Partez donc ! Allez féconder par le travail cette terre si souvent arrosée de sang de nos frères, allez et n'oubliez pas la mère patrie, car elle se souviendra de vous. Ayez confiance en elle et soyez sûrs que ses vaisseaux, ses soldats sont à votre disposition, prêts à vous défendre si jamais un ennemi osait vous attaquer.
    Avant de nous séparer, unissons-nous, poussons ensemble ce cri qui résonne en lui seul toutes les joies, toutes les espérances des coeurs honnêtes et des bons citoyens "Vive la République ! Vive la République !"

    M. de Noirlieu, Curé de Saint Jacques-du-Haut-Pas, procède à la bénédiction du drapeau de la colonie.


    M. le général Cavaignac, prend le drapeau en main et s’adresse aux colons : 

     "Je vous remets ce drapeau. Vous allez en Algérie fonder la Commune de Mondovi. Ce nom vous rappellera de glorieux, de grands souvenirs. Mais, ce drapeau que je vous remets n'est point un signe de guerre, c'est un signe de paix, d'ordre, de travail. Vous allez en Algérie assurer, par votre énergique persévérance votre subsistance, votre avenir, la subsistance et l'avenir de vous enfants. Tandis que vous allez travailler pour vous mêmes, pour votre bien-être et celui de vos familles, vous allez travailler en même temps pour l'honneur et la gloire de la République ; vous allez concourir au succès d'une des plus grandes entreprises de civilisation des temps modernes, au succès d'une œuvre qui va donner à notre grande nation de nouveaux titres, au respect et à l'admiration du monde.
    Vous allez créer des villes nouvelles, former pour l'avenir le noyau de nouvelles provinces. Rappelez-vous que vous ne réussirez qu'à la condition d’y apporter l'esprit de calme, l'amour de l'ordre, la soumission aux lois, sans lesquels rien ne peut se fonder, ni vivre. Adieu, Citoyens : j'ai voulu, avant de nous séparer, vous adresser quelques paroles d'espérance et d'encouragement. En nous quittant, répétons encore ensemble ce cri patriotique, qui répond à la pensée de tous les véritables amis de la France : "Vive la République!".

    Lorsque le départ est annoncé, comme aux précédents convoi, le chant des colons résonne sur les deux quais de la Seine alors que le vapeur « Neptune » amorce le remorquage des péniches.

     « Adieu donc, France, Adieu mère adorée.

    Souvent le soir, à notre doux foyer,

    Nous parlerons de la sacrée,

    Qui nous berça sur son sein nourricier. »

     

    Le long périple des futurs fondateurs de Mondovi commence…Le convoi des Mondoviens est le 11ème. Il y eut en tout 17 convois qui transportèrent entre 12000 et 14000 personnes depuis Paris vers les terres d'Algérie.