• Le centenaire du village

    Nous sommes le 11 décembre 1948. Il y a 100 ans, les premiers mondoviens arrivaient sur les lieux où le village a vu le jour. Ce jour tombe un samedi. Les mondoviens vont pouvoir faire la fête pendant deux jours. Un comité s’est constitué au sein de la municipalité parmi lesquels figurent les musiciens de la philharmonique. Il y a entre autres, les frères Baëza , Michel et François, Zamith Robert, Daoud père et fils, Poli Napoléon.Les employés municipaux  se sont affairés toute la semaine à l’illumination du centre du village. Tout est fin prêt. Des milliers de lampes électriques scintillent tout au long de la rue nationale sur la place du village, sur le parvis de l’église.Des manifestations du même genre ont déjà eu lieu dans d’autres villages tel Novi au mois de  septembre

     Le hasard du calendrier veut que la veille l’assemblée générale des états unis réunie à Paris a adopté la Déclaration Universelle des Droits de l’homme. Bien que les mondoviens soient conscients de l’importance de cet évènement, pour l’heure ce qui compte c’est leur centenaire.J’ai 4 ans. Ma sœur vient de faire 1 an et nous ne sommes pas en forme puisque tous   les deux atteints de la coqueluche.

    Est-il pensable, pour autant, que mes parents puissent être empêchés d’assister aux plus grandes manifestations qui se sont préparées  pour ce centenaire ? Certainement pas. Le landau est suffisamment grand pour contenir deux enfants. Nous habitons alors boulevard du Nord dans un appartement que mes parents louent à la famille Poli. Pour entamer les festivités dans la joie, la fanfare de la Philharmonique a fait son entrée au village

    C’est l’euphorie. Tout commence, comme il se doit à chaque manifestation, par une grande messe.

    Monseigneur Duval, Evèque de Constantine en 1948


    Pour marquer l’évènement, Monseigneur Duval, évêque de Constantine a été invité. Il officie avec l’abbé Conseil, curé de Mondovi. Pendant la cérémonie religieuse, les musiciens sont là pour ajouter, la solennité qui convient à l’évènement. A la sortie de l’église les mondoviens ont fait une haie d’honneur au cortège ecclésiastique chacun se presse au passage de l’évèque pour embrasser sa bague, comme il est de coutume. Le cortège se rend au monument aux morts pour rendre hommage aux morts du village.

    Les anciens combattants alignés avec les drapeaux de leur association occupent un angle du square de la reconnaissance (c’est ainsi qu’on a nommé le jardin dans lequel a été placé le poilu de la guerre 14-18). Immobiles, au garde à vous, Monsieur Wolf, représentant Monsieur Naegelen, Gouverneur Général de l’Algérie et Monsieur Custin, Président du Conseil Général accompagnent Monsieur Bertagna Roland, Maire de Mondovi. Après la sonnerie aux morts interprétée par Monsieur Zammit, trompettiste virtuose, l’orchestre entame une Marseillaise qui donne la chair de poule à toute l’assistance.

    Les personnalités au monument aux morts
    Monseigneur Duval, évèque de Constantine, Mr Bertagna Roland, Maire et
    Monsieur Wolf représentant le Gouverneur de l'Algérie

     

    Après cette entrée en matière, un apéritif est servi à tous les invités et à ceux qui veulent s’associer à ce moment de liesse.

    L’après midi avait été réservé à l’organisation de jeux pour les enfants. Ils devait profiter eux aussi des festivités puisqu’ils était les garants de l’avenir du village. Sur la place des installatons permirent d’organiser ce qui au village était devenu des classiques : course au sac et autres jeux de plein air.

     

     

    Le clou de la journée se déroula dans la salle des fêtes, décorée pour la circonstance. C’était la salle où se passaient toutes les manifestations d’importance. C’est la aussi que se d éroulait en temps ordinaire les séances de cinéma. Pour une fois on avait demandé au  père Guzzo gérant et photographe de libérer les lieux.

    A gauche de la salle des fêtes se trouvait le boulodrome.
    La salle des fêtes où se déroula le centenaire

    Des plateaux décorés de verdure avaient été posés sur des trétaux.. Un grand repas attendait tous les mondoviens. On avait  préparé plusieurs jeunes  agneaux qui grillaient lentement à la broche depuis le début de l’après midi, surveillés par les spécialistes des méchouis qui n’étaient pas à leur premier essai.

    Il règnait une ambiance folle dans la salle lorsque tout à coup une personnalité se leva et cria : « Nous allons boire à la santé de Mademoiselle EMMA ». Incitée à se lever par des personnes qui l’entouraient, une vieille dame se mit péniblement sur ses jambes ; c’était  Mademoiselle Emma. Elle avait 100 ans, l’âge du village. Elle faisait partie des gens qui étaient arrivés avec le 11ème convoi. Tandis que les convives levaient leur verre, ceux qui entouraient la vieille dame la portèrent en triomphe. Mademoiselle Laurette, sa nièce assistait à la scène, inquiète à l’idée, qu’on pourrait blesser sa tante.

    Le repas bien arrosé une fois terminé, l’orchestre ouvra le bal.

    Les saxos de l`orchsetre


     

     Fier, derrière son instrument rutilant, mon père se donna à cœur joie. C’était un passionné de musique. Il pratiquait le saxophone. C'était parfois le soprano. Pour d'autres morceaux, l'alto. Il possédait également une clarinette qu'il utilisait plus rarement. Son frère François jouait de la trompette. Ma mère admirait la virtuosité de mon père mais elle aurait bien aimé l’avoir un peu plus souvent dans ses bras pour faire quelque valse ou tango. De temps à autre il se détachait de l'orchestre lorsque sa présence n'était pas impèrieuse pour lui faire plaisir en esquisant une danse.
    L`orchestre de Mondovi
    L'orchestre de Mondovi (années 1945 à 50)


    Les deux frères Baëza , musiciens.

    Les deux frères Baëza (trompette et saxophone)

    Bien que n’étant pas de nature à s’abandonner à la nostalgie, ma grand-mère eut bien quelques pensées furtives pour son mari qui, s’il avait été en vie aurait certainement apprécié ces moments de liesse. Il avait été, lui aussi, musicien dès sa plus tendre enfance, prenant sa part d’animation au sein de l’orchestre qui était sur l’estrade.

     

    L`orchestre des années 40
    L'orchestre de Mondovi avant la guerre. Au centre (1er rang) Baëza Michel (père).
    Baëza Michel (fils) debout, 2ème à partir de la droite.



     

    Quelque temps après ces manifestations, Mademoiselle Emma quitta définitivement le village pour un repos éternel. C’est sa nièce, Mademoiselle Laurette qui la remplaça dans la boutique qu’elle tenait près de la poste.

    Au fait, vous ai-je dit que pendant pratiquement la vie « française » du village ce sont elles qui se sont chargées de la vente des livres, journaux  et autres babioles ?

    Lorsque le bal s’acheva, le jour était sur le point de se lever. Etait-il bien nécessaire de se coucher ? C’est tout de même ce que firent les musiciens avant d’entamer le concert prévu sur la place du village.

    Une bonne partie de l’après midi, les cuivres encore chauds de la veille retentirent des sons les plus harmonieux pour faire profiter des derniers moments de liesse tous les mondoviens et ceux de la région qui avaient rejoint le village. Certains allèrent même jusqu’à esquisser quelques pas de danses devant l’estrade de l’orchestre tellement la musique était entraînante et contagieuse.

    Après cette grande manifestation durant les 6 années qui suivirent il y eut d’autres fêtes au village. Les évènements de 1954 donnèrent ensuite à réfléchir aux organisateurs qui durent prendre en considération le facteur de sécurité même si parfois le mot « Mektoub » venait aux esprits. « Mektoub » signifie « C’est écrit…A la destinée ». Il est vrai qu’à tout moment nous pouvions être victimes