• Un match de foot mémrable à Bône.


    Un match de foot mémrable à Bône.

    Le stade de football de Bône.       Cliquez sur la photo



     1954 - C'est la faute à TRUGLIO.
     

     A Bône le  stade municipal portait le nom du député qui est à l’origine de sa création : PANTALONI. C'était un des rares stades engazonnés d'Algérie.

    Les équipes de foot de Bône étaient l'ASB dont tous les joueurs étaient employés de l'usine à gaz, la JBAC soutenue par les dirigeants de la TABACOOP et plus tard une équipe musulmane l'USMB.

    La violence régnait dans les stades. Les bagarres accompagnaient souvent les fins de match (cris,  jurons, coups de pierres, de poings). Les fauteurs de troubles se séparaient assez souvent avec des blessures "minimes" ( un nez cassé, un ou deux yeux au beurre noir).

     

    Je me souviens vaguement de ce match qui s’était déroulé dans ce merveilleux stade. Le spectacle méritait le déplacement puisque les équipes en lisse étaient une sélection bônoise et Dunkerque. Il y avait parmi les bônois des célébrités locales : TRUGLIO, les frères MENELLA, les frères RIPOLL, CALLEJA, TENERONI, COURBIS. Mais malgré la qualité de ces joueurs, le résultat était connu d’avance parce que le niveau de nos équipes  n’avait jamais pu permettre de rivaliser avec  celles de métropole. Malgré tout, le spectacle méritait le déplacement. Mon père décida donc de m’emmener. Mes deux oncles, Armand et François nous accompagnaient. Il y avait dans les buts de la sélection bônoise un professeur de culture physique, un dénommé TRUGLIO.


    Le match débuta dans un enthousiasme que l’on peut comprendre. Et puis Dunkerque marqua un but puis un deuxième. De la travée juste au dessous de la notre, des quolibets commencèrent à fuser :
    « Où ils l’on trouvé ce goal ? Dehors le goal ».
    A cela François répondit
    « On va te mettre à sa place toi ».
    « Ta gueule. Va voir là-bas si j’y suis 
    » répondit l’autre.
    Au troisième but les commentaires reprirent de plus belle
    « C’est pas un gardien, c’est une passoire…Dehors le goal ».
    « Ta gueule conard
    ! » cria mon père. 
    L’échange de jurons et d’insultes n’arrêta pas jusqu’à la fin du match.
    Lorsque l’arbitre donna le coup de sifflet final je sentis comme une animosité dans les tribunes.

    Mon oncle se précipita vers les travées d’où venaient les insultes. Mon père me mit à l’écart contre une rambarde des tribunes et me dit
    « Bon tu restes là, tu ne bouges pas ».
    Bouger , il valait mieux que je m'en abstienne si je ne voulais pas recevoir une manchette d’un des combattants qui gesticulaient autour de moi. Des combats auxquels je ne comprenais rien, tellement la pagaille était monstre.
    Il y avait du grabuge. Me sentant abandonné je me mis à pleurer. Les gens autour de moi prirent le temps de me consoler en me disant que mon père allait revenir. Le fait de me sentir protégé atténua mes pleurs. Où était passé mon oncle Armand, je n’en savais rien. Au bout d’un moment qui me parut une éternité je vis mon père réapparaître. Mes deux oncles l’accompagnaient.

    « Allez vite…on rentre » me dit-il. Il n’avait pas l’air amoché.
    J’appris bien plus tard la raison du pugilat. Mon père et mon oncle n’avaient d’autant moins supporté les critiques du gardien de buts TRUGLIO, qu’il était membre de la famille.…

    Cette bagarre comme d’autres était le reflet d’un comportement presque naturel qui s’était installé au sein de la communauté. Il suffisait parfois d’un regard pour qu’on entende
    « Qu’est-ce que tu veux…Tu m’as pas bien vu ! …Tu veux ma photo ! »
    et cela dégénérait.
    Souvent le bônois était incapable de s’étendre en explications. Le langage peu châtié prenait rapidement le dessus. La bagarre se déclenchait le plus souvent après des insultes touchant les morts ou les parents. L’offense suprême était le fait d’insulter les morts.

      De toute l'Afrique du Nord, ce sont sans doute les gens de la région de Bône qui ont eu le plus grand répertoire de jurons, souvent incompréhensibles pour les étrangers.