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La superstition au village
Vous savez sans doute qu’il existe des maladies qui relèvent davantage du psychique que du physique. Les médecins bien que spécialisés sont parfois désarmés pour les traiter. C’était parfois le cas des deux médecins que nous avons toujours connus à Mondovi : les docteurs Taïeb et Durand. Chaque famille ne jurait que par l’un, au détriment de l’autre. A compétence égale, chacun avait son tempérament. L’un paraissait froid et fort sérieux tandis que l’autre avait l’air de tout prendre à la rigolade.
Je me rappelle qu’un jour, prenant des risques pour rejoindre à vélo, le docteur Durand, je lui dis que la voisine se sentait mal, il me répondit « Elle n’a qu’à se faire sentir par quelqu’un d’autre ». Tous ces risques pour entendre une telle boutade quelle déception…En fait quelques minutes après, il était chez la voisine…Mais revenons à nos problèmes psychiques.
A Mondovi quand on ne savait pas l’origine d’une maladie on disait qu’on nous avait « mis les yeux ». Qu’est-ce que cela signifiait ?
Pour certains - et ils étaient assez nombreux à Mondovi - le mal pouvait se cacher derrière des regards envieux ou de la jalousie. Il pouvait même se cacher derrière des compliments hypocrites sur la bonne forme ou la bonne mine de quelqu’un. Cela pouvait provoquer des problèmes de santé que seul un « jeteur de mauvais œil » était capable de traiter.Il y avait au village deux personnes capables de « conjurer le sort », toutes deux de confession juive : Madame Daoud et Madame Guez. Là encore, le choix de l’une ou de l’autre dépendait de l’appréciation de chacun quant à leur efficacité.
Toutes les deux avaient à peu près les mêmes méthodes « d’opérer ». Elles faisaient asseoir le supposé atteint du mal. Elles remplissaient une assiette d’eau et versaient dans l’eau quelques gouttes d’huile. Si l’huile disparaissait, cela voulait dire que le patient « avait les yeux ». Il fallait alors qu’il se mette à l’abri du danger en essayant d’abord de déterminer celui qui engendrait le mal et en s’isolant.Si la malédiction s’avérait rebelle il était conseillé de consulter un faiseur de miracles. Ceux reconnus comme étant les plus efficaces étaient les marabouts de confession musulmane.
Le marabout (personne) lorsqu’il est encore vivant, officie dans le marabout (bâtisse). Il impose les mains et par des incantations implore les Dieux d’extirper le mal du patient. On peut aussi faire agir le marabout en apportant des offrandes sur son tombeau s’il n’est plus de ce monde. On lui demande alors de nous désenvoûter.
Dans toute l’Algérie, sorciers, faiseurs de miracles arabes, italiens, espagnols, maltais avaient fort à faire parce que la superstition allait bon train. Pour se protéger des moyens simples étaient également recommandés. On pouvait par exemple « faire les cornes » en tendant index et auriculaire pour barrer la route au « mauvais oeil ». On évitait de fréquenter les personnes susceptibles de porter la schkoumoune sur eux, de peur qu’ils soient contagieux. On côtoyait par contre ceux qui avait la baraka pour bénéficier de leur protection. Ce genre de croyances touchait plus ou moins toutes les classes sociales et étaient le résultat du folklore des différentes ethnies (italo-maltaise, espagnole, méridionale, juive, arabe) qui se complètaient et renforçaient la crédulité des gens.
A Mondovi une vieille dame avait, comme Mme Daoud, le don d’enlever le « coup de soleil » : il s’agit de Mme Guez. Le « coup de soleil » c’était cette forte fièvre qui se manifestait lorsque un individu imprudent était resté trop longtemps exposé au soleil.
Madame Guez installait l’imprudent, tout rouge et tremblant de fièvre sur une chaise, lui posait une serviette pliée en quatre sur la tête et renversait par-dessus un grand verre d’eau en récitant toutes sortes de prières dans une langue qu’il était impossible de comprendre. Des bulles qui apparaissaient dans le verre signifiaient la guérison future. Une telle manipulation ne pouvait être efficace qu’à condition d’être agrémentée de signes cabalistiques dont, seule la vieille dame avait le secret.
Toutes les interventions de Mmes Daoud ou Guez étaient accompagnées de prières. Cela tend à prouver que le religieux était très proche de la superstition et que la limite entre les deux n’était pas clairement définie. Ce phénomène était dû essentiellement à l’amalgame des coutumes importées par les différentes communautés.
Une chose est sûre c’est que les deux dames n’ont jamais prétendu faire un commerce de leur don reconnu par une bonne partie de la population. Elles agissaient en bonne mère de famille. Une modeste contribution suivait leur intervention (victuailles, volaille, gâteaux).