• De Bône à Mondovi

      
     

    Le 8 décembre, la frégate à vapeur « Le Labrador », transportant les membres du convoi 11 arrive à Bône.

    Les futurs Mondoviens sont logés dans la Casbah de la ville.

    Le 9 après l’appel de l’officier, commandant lé garnison on leur précise que le départ ne se fera qu’après leur participation à l’élection du Président de la République prévue le lendemain.

    Le 11 décembre, une partie du convoi escorté par les militaires part pour le lieu d’implantation du village. L’armée a mis à la disposition du convoi des attelages et des charrettes. La route empruntée sera celle que les militaires ont tracé pour pousser leurs investigations vers l’intérieur du pays. Les routes arabes à la conquête n’étaient que de simples sentiers tracés par les pieds ou les sabots du cheval ou du mulet. Les itinéraires correspondent souvent aux routes romaines. Pour les arabes deux choses faisaient le mérite d’une route à leurs yeux : l’eau et la sécurité. La première explique le fait que très souvent on trouvait des points d’eau sur les chemins qu’ils empruntaient. Pour ce qui est de la sécurité, le danger le plus fréquent était la rencontre de « coupeurs de route ». De misérables bandits  de petites tribus logées sur des positions presque inaccessibles s’embusquaient sur le passage des caravanes.

    Pendant une dizaine d’années à partir de la conquête, la route menant à l’intérieur des terres n’était sécurisée que sur quelques kilomètres. C’est la prise de Constantine qui permit de descendre beaucoup plus bas dans l’arrière pays. Les français avaient besoin d’une communication carrossable : ils ont suivi les tracés romains et découvert d’imposants vestiges à chaque pas. On peut évaluer à plusieurs milliers le nombre d’établissements romains de toute grandeur répandus sur la surface de l’Algérie. L’armée avait établi un camp à une vingtaine de kilomètres de la ville près d’un point d’eau, vestige d’une étape romaine sur la route entre Hippone et Thagaste devenue Souk Ahras. Les militaires installés dans des baraques en bois avaient pour mission de préparer, sécuriser et protéger les nouveaux arrivants. Ce lieu était indiqué sur les cartes sous le nom de Dréan. Les militaires connaissaient donc bien la route de Bône à Dréan. Leur escorte permit aux colons de circuler sans trop de crainte. Un facteur d’insécurité était tout de même à prendre en considération : l’attaque possible d’une bête sauvage. Un animal faisait parler de lui dans la région : le lion qui peuplait encore tout le massif de l’Edough. L’animal s’attaquait tout particulièrement aux troupeaux des indigènes et faisait l’objet d’une traque constante.

    Le voyage, au travers d’une végétation sauvage et désordonnée d’un bout à l’autre avait été pénible. Moins dangereux que le lion, mais surprenant et irritant par ses piqûres soudaines, le moustique virevoltant sans répit autour de la caravane n’en était pas moins agressif.

     Aucun pont n’avait été construit. Il fallut passer ruisseaux et rivières à guet.

    Arrivés au camp de Dréan on dit aux migrants que le point de chute n’était pas loin. Il n’y eut, en effet que quelques kilomètres à faire pour découvrir le terrain que les militaires avaient commencé à défricher et à sécuriser.

    La végétation était luxuriante. Ils longeaient la Seybouse, rivière la plus importante de la région. Les lauriers roses succédaient aux cactus et aux figuiers de barbaries, aux oliviers et aux orangers sauvages couverts de fruits.  Des huttes ou des gourbis ici ou là, gardés par des chiens aboyant au passage du convoi, des curieux enveloppés dans une vieille couverture assis au bord du chemin : tout au long du trajet les colons découvraient un monde nouveau. Ils avaient rencontré aussi des personnages à la tête enveloppée d’un turban guidant un âne croulant sous un chargement enveloppé d’un linge. Les militaires leur apprirent que la région était peuplée de nombreuses tribus. La plus puissante et la plus nombreuse était celle des HANNENCHA qui occupait les campagnes de Constantine et de Bône : des personnes plutôt pacifiques à la différence de certaines peuplades plus belliqueuses tels les BENI-SALAH occupant les abords sud de la zone sur laquelle le village devait être édifié..

    Juste après le camp de Dréan les migrants furent surpris de découvrir une bâtisse. On leur dit que c’était un lieu saint. Autour de l’édifice, un champ et quelques tombes parmi lesquelles des toiles tendues abritaient des hommes et des femmes assis. C’étaient des pèlerins venus à pied, parfois de très loin pour honorer l’homme dont le caveau était protégé par un marabout. Il s’agissait de Sidi HAMEDA, un disciple d’ Abd el Kader, le serviteur du puissant. Abd el-Kader contre lequel la France eut fort à faire était considéré dans presque tout l’orient comme le patron des pauvres et des malheureux. C’est en son nom que presque tous les mendiants imploraient la charité du passant.

     

     

     

    Pendant toute cette journée, les parisiens s’étaient plongés dans un monde qui n’avait cessé  de leur réserver des surprises. Ils savaient que d’autres journées leur feraient découvrir de nouvelles facettes de ce pays dans lequel ils étaient bien décidés à entamer une nouvelle vie. Pour l’instant, harassés par ce voyage éprouvant, ils n’avaient qu’une envie, dormir même s’il fallait le faire sous des tentes montées par l’armée prête à les recevoir.