• Des évènements décourageants

    Récit glané sur le « net ».


       …   
    A quelque temps de là, un tragique événement vint alarmer tout le village. Au nombre des habitants installés depuis la première heure, se trouvait M. Roulleau, voiturier, qui tenait l'Hôtel du Roulage, et se chargeait des transports pour tout le monde. En vue de loger ses bêtes, il avait construit une bonne écurie-remise en pierre, chaux et sable.
              Deux de ses fils, gars vaillants et solides, travaillaient avec lui. Le troisième s'était engagé comme matelot. Or, au matin d'une nuit sombre et pluvieuse, on constata que des malfaiteurs avaient percé un mur d'un demi mètre d'épaisseur, et qu'une fois dans l'écurie, ils avaient réussi à en faire sortir quatre chevaux ou mulets pour les voler. Le hasard avait voulu que, pendant cette opération de brigandage, l'un des fils Roulleau, qui couchait dans la paille de la remise fît un mouvement. Et c'est alors qu'averti de sa présence, un des bandits s'approcha du dormeur et le tua à bout portant d'un coup de feu. Le malheureux jeune homme n'avait pas reçu moins de dix chevrotines. Qu'on juge du désespoir de ses malheureux parents et de la consternation dans laquelle ce crime odieux plongea la population tout entière!
              Cet attentat n'était pas fait pour augmenter nos chances de sécurité déjà si minces. Après les méfaits des lions, c'étaient maintenant les u fauves à deux pattes ", comme nous appelions les bandits en burnous qui se risquaient en plein Mondovi pour piller, razzier et assassiner les nouveaux Colons jusque dans leurs demeures.

    Qu'allions-nous devenir? C'était la question que l'on se posait dans toutes les familles, surtout lorsque, quelques semaines après l'affaire Roulleau, un crime plus abominable encore vint mettre le comble à nos angoisses et à notre indignation.
              Il y avait de quoi. Figurez-vous que la femme d'un colon, étant sur le point de faire ses couches, avait dû se rendre à Bône en compagnie de quelques personnes du centre qui profitaient de ce même convoi. En cours de route - c'était la nuit - le véhicule vint à s'embourber et il fut impossible de le tirer du marécage. Les voyageurs furent contraints de s'en retourner à pied pour chercher du renfort.
              Mais la jeune femme, ne pouvant effectuer ce chemin en raison de son état, avait dû rester seule dans le char en attendant leur retour.
              Fatale imprudence ! Quand on revint, on trouva la malheureuse éventrée et odieusement mutilée. Les seins avaient été coupés, et les moukères ayant participé à ce forfait sans nom s'étaient acharnées comme des hyènes sur le cadavre de la victime.
              Drame affreux, qui montrait une fois de plus la haine farouche de la population musulmane à l'égard de tout ce qui était français.
              Au reste, nous n'en avions pas encore fini avec les pillards et autres bandits du bled. Après le fils Roulleau, ce fut le colon Loizauté qui tomba sous les balles des perceurs de murailles. Ayant entendu un bruit insolite pendant la nuit, il s'était levé et, sans méfiance comme sans arme, il avait ouvert la porte de son habitation pour se rendre compte de ce qui se passait. A ce moment, il aperçut plusieurs Arabes occupés à voler son bétail.

              Suivant leur habitude, les malfaiteurs avaient posté un de leurs complices pour faire le guet. Avertis par celui-ci de l'arrivée du propriétaire, ils se mirent sur leurs gardes, si bien que lorsque Loizauté, qui était un véritable colosse, courut sur eux en chemise, ils l'étendirent raide sous une décharge de leurs fusils et disparurent avec leur butin. On ne retrouva jamais la trace des criminels.
              Quelques mois ne s'étaient pas écoulés que le fils Campagne, de Barral, était l'objet d'un attentat non moins tragique. Voici dans quelles circonstances.
              M. le Vicomte Augier faisait alors construire un rendez-vous de chasse dans sa propriété sise près du Centre voisin de Saint-Joseph, et il y avait sur les lieux un grand nombre d'ouvriers. Le fils Campagne approvisionnait la cantine chargée du ravitaillement de tout ce monde.
              Le sachant porteur d'une forte somme d'argent, des indigènes s'embusquèrent sur son passage, l'assaillirent et le laissèrent pour mort sur le chemin, après l'avoir frappé de onze coups de poignard et dépouillé de sa sacoche.

              Le malheureux fut retrouvé dans une mare de sang, tant il avait reçu d'affreuses blessures. Cependant, il respirait encore, et on le transporta chez ses parents, à - Barral, où le docteur militaire de Mondovi, M. Dufour, fut appelé d'urgence.
              Toutes les plaies de la victime paraissaient mortelles et laissaient peu d'espoir de guérison, mais l'habile praticien se montra si assidu et si dévoué, se rendant jusqu'à deux fois par jour au chevet de ce brave garçon, qu'il parvint à le sauver. En présence d'un pareil miracle, les habitants de la région voulaient porter le docteur en triomphe.